[EDITO] MAITRE ET ESCLAVE

[EDITO] MAITRE ET ESCLAVE

« Au-delà d’un modèle économique, c’est un modèle civilisationnel qui s’instaure, fondé sur l’organisation algorithmique de la société, entrainant le dessaisissement de notre pouvoir de décision. C’est pour cela qu’il est urgent d’opposer à ce mouvement prétendument inexorable d’autres modalités d’existence, pleinement soucieuses du respect de l’intégrité et de la dignité humaines. »1

Technologies numériques, objets connectés, smart-cities, 5G, passeport numérique, empreintes digitales, reconnaissance faciale, contrôle algorithmique, réalité virtuelle et autres métavers sont quelques-uns des nouveaux ingrédients d’une société se déclarant et se voulant toujours plus sécurisée, plus proche et plus adaptée aux prétendus besoins de chacun d’entre nous. Une société dans laquelle toutes les parties mentales et physiques, toutes les spécificités des vivants feront l’objet d’une marchandisation au profit de quelques cannibales « éclairés ».

Simultanément, et ce n’est pas un hasard, nous assistons à l’explosion de catastrophes sociales.
La croissance colossale des dettes des Etats, du chômage, du coût de la vie, des inégalités de revenu, de la précarité, de la fragilisation des liens sociaux, des mécontentements, de la frustration, de l’adhésion aux thèses et partis extrémistes, sans même évoquer les impacts environnementaux désastreux à l’instar des épidémies-pandémies que nous connaissons de façon récurrente aujourd’hui.

Les notions de transition écologique, de développement durable, de responsabilité à l’égard des générations futures, de biens communs, d’une société plus sobre, plus juste et plus respectueuse des vivants, si chères aux écolos, ne sont plus que vide sidéral. Pire même elles ont, avec l’assentiment des Verts, servi de levier à l’accélération et l’intensification d’une économie techno-libérale hors de tout contrôle et s’attachant à la marchandisation de tous les secteurs de la vie. Une économie des données faisant selon Eric Sadin « de tout geste, souffle, relation, une occasion de profit, entendant ne concéder aucun espace vacant, cherchant à s’adosser à chaque instant de la vie, à se confondre avec la vie tout entière »2

Et que dire de l’état de nos démocraties ? Que penser de leur fonctionnement actuel, de leur mode de représentation, de la soumission du politique au diktat de la sacro-sainte « croissance et urgence d’agir », des sondages selon lesquels une grande majorité de personnes serait favorable à l’établissement d’un pouvoir fort ? Où se situent les réels lieux de décisions ?

L’obéissance aux machines fera-t-elle de nous des machines obéissantes ?3

Il existe pourtant des résistances, des volontés de sortir de ce carcan. Celles-ci ne correspondent pas en un quelconque refus du progrès mais bien davantage en un désir de lui redonner sens, d’arrêter de le subir.

Autant de réflexions que Grappe tentera d’approcher ce 18 mars prochain et auxquels nous devrions être nombreux à participer.

Pierre Stein

  1. La silicolonisation du monde – l’irrésistible expansion du libéralisme numérique par Eric Sadin in éditions L’Echappée 2016 []
  2. ibidem p.21 []
  3. Dossier « L’intelligence artificielle en question » Mark Huniady Revue Quart monde n°259 3/2021 []