[EDITO] Semences d’Europe : donner la parole aux petits producteurs

[EDITO] Semences d’Europe : donner la parole aux petits producteurs

Ce mardi 28 novembre 2023, j’ai eu la grande satisfaction de participer au Parlement européen à la projection d’un documentaire rappelant le rôle capital de la paysannerie et de l’agriculture à taille humaine et locale. Je vous invite donc à le visionner grâce au lien suivant https://www.youtube.com/watch?v=hj-oyEix1Q0
Le débat souvent très technique et scientifique qui a suivi cette projection a permis de mettre en évidence à la fois l’importance et la nécessité d’apporter des réformes en matière de législation et de commercialisation des semences – proposition initiée par la Commission – mais également – et c’est plus interpellant – celle concernant les OGM en général et les nouveaux OGM, issus des nouvelles techniques génomiques ou NTG en particulier. Pour beaucoup d’intervenants cette double réforme doit être sérieusement amendée sous peine de ne devenir qu’une opération de greenwashing plutôt qu’une réelle transformation de notre modèle agricole actuel en faveur d’un modèle tourné davantage vers une agriculture plus saine, durable et diversifiée.

Ce n’était visiblement pas l’avis de la représentante de la Commission plus sensible aux chants et aux business des lobbys internationaux qu’à ceux des petits producteurs régionaux et locaux, affirmant que plusieurs modifications avaient déjà été introduites dans cette double réforme et que celle-ci était « à prendre ou à laisser »[sic].

Et pourtant …

Comme le rapporte le « réseau semences paysannes », […] le monopole radical exercé par l’industrie sur les semences a provoqué la disparition de 75 % de la biodiversité cultivée en 50 ans. Pourtant, les paysan-e-s du monde ont toujours sélectionné et produit leurs semences et par delà entretenu cette biodiversité cultivée essentielle à notre alimentation. La majorité d’entre eux utilisent toujours des semences paysannes. A l’opposé des hybrides F1, des clones et autres OGM industriels, les semences paysannes sont libres de droits de propriété et sélectionnées de façon naturelle dans les fermes et les jardins menés en agriculture paysanne, biologique ou biodynamique. Rustiques et peu exigeantes en intrants, elles possèdent aussi une grande diversité génétique qui les rend adaptables aux terroirs, aux pratiques paysannes ainsi qu’aux changements climatiques. Elles forment ainsi une des leviers principaux pour assurer la souveraineté alimentaire des populations au sud comme au nord.

Les premières sociétés agricoles ont domestiqué la plupart des espèces nourricières cultivées encore aujourd’hui. Au gré des migrations et des échanges de semences, ces peuples ont acclimaté les espèces et les variétés cultivées dans leurs différents lieux de vie. Par la sélection humaine et les mécanismes d’évolution naturelle, une formidable diversité a été sans cesse brassée et renouvelé au travers l’acte fondateur de conserver une partie de sa récolte pour la ressemer.  Cette coévolution entre les êtres humains et les plantes s’est poursuivi pendant des millénaires et a fourni des millions de variétés adaptées à chaque territoire : c’est ce qu’on appelle aujourd’hui la biodiversité cultivée.

A partir du XXième siècle, l’industrialisation de l’agriculture provoque une rupture dans cette coévolution multimillénaire. La semence, comme la fertilisation, la défense des cultures, les savoir-faire et les normes techniques, doit être produite en dehors des fermes, dans un objectif de standardisation, pour une industrialisation générale et massive. Elle devient un moyen de faire entrer le progrès dans les fermes en étant associée, dans un même paquet technologique, aux engrais et pesticides chimiques, à une mécanisation exponentielle, et au recours à l’irrigation. Ce processus dépossède les paysans en quelques générations de l’ensemble des savoirs-faire semenciers et remplace les centaines de milliers de variétés paysannes par quelques variétés modernes issus du « progrès génétique ».

Alors que les semences utilisées depuis des siècles étaient extrêmement diversifiées, la politique de standardisation, de commercialisation, de certification obligatoire et de brevetage en faveur d’un marché commun uniformisé au sein de l’Union a mis un coup d’arrêt à cette diversification et accordé aux grands groupes industriels un quasi monopole en la matière . Par cette stratégie, les agriculteurs ont perdu le droit de commercialiser leurs semences qui, bien qu’adaptées à des cultures et environnements locaux, ne répondent pas aux critères fixés par l’Union.

Enfin pour terminer la brève introduction à cette problématique, je vous invite à lire la lettre ouverte à la Commission européenne et co-signée par plus de 38 associations.

Pierre Stein
Grappe asbl


Réforme des semences U.E.

File name : Lettre-sur-la-reforme-des-semences.pdf