[ÉDITO] L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE OU LE DEVENIR D’UN ANTIHUMANISME RADICAL

[ÉDITO] L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE OU LE DEVENIR D’UN ANTIHUMANISME RADICAL

Il n’aura échappé à personne que, depuis plusieurs mois maintenant, l’intelligence artificielle (I.A.) fait l’objet dans les médias d’une attention soudaine et quasi quotidienne. Souvent présentée comme outil facilitateur et indispensable à l’accroissement de notre bien-être général et de la sécurité individuelle et collective, l’I.A ne semble pouvoir souffrir d’aucune contestation quant au caractère inéluctable de son développement.

Certes, il existe bien ça et là quelques « appréhensions » ou « inconnues » sur les conséquences possibles de son utilisation dans certains domaines mais celles-ci s’estompent rapidement face aux promesses exceptionnelles faites par leurs créateurs. Et ce n’est pas la demande d’un moratoire de quelques mois proposé par ceux-ci qui changera la donne car, sous le couvert de quelques questionnements éthiques de pure forme, l’objectif poursuivi ne vise qu’à asseoir définitivement son existence sans remise en question de sa pertinence.

Pourtant, à l’instar de ce qui fut abordé lors du colloque du Grappe1 sur les multiples formes d’intelligence présentes dans le vivant, il n’existe pas de développement technologique et encore moins cognitif « neutre » ou « sans enjeux ». Dans le cas de l’I.A., nous serions bien inspirés d’y prêter la plus grande attention et de nous interroger sur cette transformation anthropologique radicale de l’homo sapiens qu’elle initie.

Si le développement numérique ne date pas d’hier, on ne peut nier que sa mise en pratique concrète ait été favorisée par la conjonction de trois facteurs particuliers : la gestion politique mondiale de la pandémie de SARS-CoV-2, la constitution d’énormes quantités de data consécutives à la multiplication des capteurs d’informations dans tous les domaines de notre existence et l’extraordinaire accroissement des capacités de stockage de celles-ci.

La numérisation et la complexité sans cesse croissante des algorithmes qui l’accompagnent et qui touchent l’ensemble des secteurs d’activités économiques, politiques, scientifiques, sociales, culturelles constituent la clé de voute d’un développement illimité de l’I.A.

« L’invasion de l’I.A. dans de nombreuses activités humaines, avec sa capacité à assister, piloter, aider, accompagner, renseigner, travailler est déjà en train de modifier nos consciences, notre existence et la perception que nous avons de nous-même et du monde ».2

L’I.A. ne se contente pas d’utiliser les nombreuses data récoltées, elle les met en relation, les interprète, les façonne selon l’intérêt des utilisateurs, capable qu’elle est déjà de capter et de reproduire les émotions de ces derniers. Considérant la diversité des comportements et des pensées comme source d’insécurité, L’I.A. a pour objectif de les contrôler, les uniformiser, d’en déterminer la vérité et d’imposer sa rationalité technoscientifique. Ce faisant, elle donne naissance non seulement à un monde nouveau dont les « métavers »3 ne sont qu’un exemple parmi d’autres mais également à un homme nouveau à mi-chemin entre technologie et biologie.

Pour ses partisans, un rêve s’accomplit : la naissance de l’homme « bionique » ou plus généralement « cybernétique » performant, prévisible, modelable et sous contrôle4.

Individuellement c’est notre conscience, notre autonomie de jugement qui disparait, collectivement, c’est la démocratie qu’on détricote. Tout cela en l’absence totale de débat et, faut-il encore le dire, avec la complicité « naïve » d’un monde politique dépassé !

« Plus il nous est retiré la possibilité d’agir, plus il faut agir. »5

Grappe a décidé d’approfondir la réflexion lors de plusieurs réunions publiques. Il ne s’agit pas de nier la définition du progrès mais bien d’élargir son champ à nombre de domaines que la marchandisation du techno-libéralisme entend ne rendre compte qu’en lien avec les profits économiques que ceux-ci peuvent générer.

A suivre …

Pierre Stein

  1. Colloque du 18 mars 2023 intitulé « Intelligence du vivant, technosciences, démocratie : quels enjeux ?» []
  2. Interview d’Éric Sadin « Anatomie d’un antihumanisme radical : l’intelligence artificielle passée au crible du philosophe Éric Sadin » par Pascal Hérard []
  3. Le métavers est un ou plusieurs univers virtuels permettant à chaque personne, munie d’un casque de réalité virtuelle, d’accéder à un environnement numérique immersif en trois dimensions. Il s’agit d’une représentation virtuelle du monde physique avec un système économique propre. Il offre à chaque individu, représenté par un avatar (sa doublure numérique), l’accès à multitude d’activités, comme jouer à des jeux vidéo, regarder un film, participer à une réunion entre collègues, rencontrer de nouvelles personnes ou investir dans l’immobilier. Lire aussi « Métavers, tout ce qu’il faut savoir en 7 questions » par Marwa Sebbahi, avec M. Samain 9 mai 2022 / https://www.lecho.be/entreprises/technologie/en-clair-metavers-7-questions-ce-quil-faut-savoir.html#qu-est-ce-que-le-metavers []
  4. A écouter « Intelligence artificielle | Quand les émotions s’en mêlent » | ARTE https://www.youtube.com/watch?v=cSm9j_EuP9o []
  5. Interview d’Éric Sadin « Anatomie d’un antihumanisme radical : l’intelligence artificielle passée au crible du philosophe Éric Sadin » par Pascal Hérard []