Opération Atalante

Le Figaro

Quand l’Europe protège ses pirates

Il y a quelques jours, le 1er janvier 2021, est entrée en vigueur la prolongation de la mission Atalante, pour deux nouvelles années.1 Rappelons qu’il s’agit d’une opération militaire menée par l’Europe au large de la Corne de l’Afrique, depuis plus de 12 ans déjà. Son but : à renfort de navires de guerre, empêcher la piraterie le long des côtes concernées. Cela pourrait être positif, car il y a en effet dans cette région une piraterie dévastatrice : celle de la pêche industrielle, notamment européenne ; non contente d’épuiser les mers là où c’est autorisé, celle-ci opère également dans les zones réservées à la pêche locale, les vidant elles aussi des ressources nécessaires à la survie des populations.2 Néanmoins, nos militaires ne sont pas là pour ces pirates-ci ; mais, avant tout, pour tenir en respect les habitants de ces régions, notamment d’anciens pêcheurs artisanaux, reconvertis en pirates pour tenter de survivre.3

90% du temps dans les eaux illégales

Mais nos dirigeants et élus ne tentent-ils pas de faire d’une pierre deux coups ? Empêcher la piraterie des pauvres et, en même temps, celle des industriels ? À la base, en tout cas, Atalante n’a pas pour mission d’empêcher la pêche illégale européenne : « Ce n’est ni mon rôle ni mon mandat », expliquait en 2009 le contre-amiral Hudson, alors responsable de l’opération.4 Les choses n’ont-elles pas entretemps évolué ? On pourrait penser que si, en apprenant p. ex. qu’Atalante a déjà protégé les navires du programme alimentaire mondial5 ; ou encore, que cette opération aide parfois des écologistes à localiser des industriels pêchant en zones interdites.6

Cependant, une autre information, qui date de l’année écoulée, va par contre dans un sens très différent (et n’a que très peu fait parler d’elle) : selon une étude publiée dans la revue Fish and Fisheries7, les navires de pêche industriels passent, le long des côtes somaliennes, 90% de leur temps dans les zones réservées aux pêcheurs locaux. Or, la Somalie est LE pays concerné par l’opération Atalante : son rivage, le plus long du continent africain, s’étire sur 3000 kilomètres.6 Ce qui, manifestement, fait apparaître en toute clarté que les quelques actes humanitaires d’Atalante ne sont que des retouches cosmétiques, visant à masquer la vraie nature de cette opération : garantir notre surpêche, protéger nos industriels contre ceux pour qui la piraterie est un dernier recours.  

Quand l’Europe protège ses pirates

Agir ?

Que pouvons-nous faire ? Boycotter la grande distribution et soutenir les filières alternatives – notamment celle des poissons pêchés à la ligne ; soutenir les médias et associations qui informent et agissent (p. ex. Sea Shepherd, qui prête ses bateaux aux policiers africains, qui n’ont en général pas de quoi arraisonner les pirates industriels)4 ; et en particulier, cesser, enfin, de voter pour ceux qui élaborent ou cautionnent de telles politiques.

Daniel Zink, éco-conseiller


  1. « Operation ATALANTA´s new mandate enters into force on 1st of January 2021. New tasks will reinforce the EU NAVFOR’s counter-piracy core responsibilities », eunavfor.eu https://eunavfor.eu/operation-atalantas-new-mandate-enters-into-force-on-1st-of-january-2021-new-tasks-will-reinforce-the-eu-navfors-counter-piracy-core-responsibilities/ []
  2. « L’Afrique dépouillée de ses poissons », monde-diplomatique.fr, 2018. https://www.monde-diplomatique.fr/2018/05/BROWN/58632 []
  3. « Ravages de la pêche industrielle en Afrique », monde-diplomatique.fr, 2012 http://liege.mpoc.be/doc/alimentation/Mora-Jean-Sebastien_Ravages-de-la-peche-industrielle-en-afrique_Monde-diplo-nov2012.pdf []
  4. Ibid [] []
  5. « La marine belge veille sur les eaux africaines », mil.be, 2019-n’est plus accessible en ligne à ce jour []
  6. « L’Afrique dépouillée… », art. cité. [] []
  7. « Catching industrial fishing incursions into inshore waters of Africa from space », in Fish and Fisheries, vol. 21, wiley.com, 2020 https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/faf.12436 []