Les grands perdants sont le climat et la biodiversité qui s’éclipse sur la pointe des pieds dans l’apathie générale, tant le monde hyperconnecté est paradoxalement déconnecté de la nature.
par Inès Trépant, politologue, auteure et membre du GRAPPE*
Un an après la prise de fonction d’Ursula von der Leyen pour un second mandat à la tête de la Commission européenne, le bilan qu’on peut en tirer sur ses engagements climatiques et de biodiversité est tout simplement exécrable. La triple crise planétaire à laquelle l’humanité fait face, – le changement climatique, la perte de biodiversité et la pollution -, n’est tout simplement plus dans les écrans radars de la Commission, pour qui l’urgence est ailleurs. Le nouveau leitmotiv : rattraper le retard économique de l’UE sur la Chine et les États-Unis.
Le nouveau leitmotiv : rattraper le retard économique de l’UE sur la Chine et les États-Unis.
À peine investie (18 juillet 2024), Ursula von der Leyen annonçait avec fracas le report d’un an de la mise en œuvre de la loi sur la déforestation importée, une mesure emblématique du Pacte vert. Depuis, une pluie d’annonces douche les espoirs des défenseurs de l’environnement, dont le dernier en date : l’accord douanier entre les États-Unis et l’Union européenne (UE), par lequel la présidente von der Leyen engage celle-ci à importer davantage de pétrole et de gaz naturel liquéfié américain, dont l’empreinte carbone est 33 % supérieurs à celle du charbon. Autant dire que pour le climat, c’est la bérézina !
Compétitivité : en avant toute !
Désormais, le nouveau mot d’ordre de la Commission, c’est la compétitivité. Le rapport Draghi, du nom de l’ancien premier ministre italien qui l’a rédigé, en est la boussole. Celui-ci plaide pour un investissement massif dans les nouvelles technologies et la défense. Le projet de budget européen pour la période 2028-2034, publié le 16 juillet dernier, en porte la marque. Un nouveau Fonds européen de la compétitivité lui est dédié. Il constituera la seconde plus grosse enveloppe du futur budget pluriannuel, à hauteur de 23 %. Le « Green Deal » cède le pas au « War Deal ».
La « boussole pour la compétitivité » de l’UE du 29 janvier dernier comporte un principe d’action redoutable, celui de la « simplification » (omnibus dans le jargon européen). Derrière ce terme, se cache un démantèlement des politiques environnementales et de droits humains. D’emblée, un des textes clés du Green Deal est rentré dans le viseur de la Commission, et non des moindres. Il s’agit du devoir de vigilance des entreprises (CSDDD), censé obliger les entreprises à prévenir et atténuer les impacts négatifs de leurs activités sur les droits humains et l’environnement. Avant même son entrée en vigueur, la loi fait l’objet d’un réexamen. Et il n’est pas sûr qu’elle survivra. La Commission a proposé plusieurs ajustements qui en affaiblissent considérablement la portée. Et d’autres trains de mesures de simplification sont dans ses cartons.
Protection de l’environnement : marche arrière toute !
L’industrie européenne est sur pied de guerre. Et la militarisation se fiche de l’environnement. Il justifie la relance de l’extractivisme à tout-va. Le discours martial d’Ursula von der Leyen au sommet du G7 au Canada de juin dernier, dans lequel elle en appelle à investir dans les projets miniers en Europe et ailleurs pour contrer la Chine, en témoigne. On n’est pas loin de la politique Drill, baby, drill de Donald Trump.
L’environnement est dans la ligne de mire de Donald Trump. Mais l’UE se « trumpise ».
Les leviers de l’extractivisme sont la diplomatie européenne des matières premières critiques et la promotion de l’IA à tout berzingue. Or, ses effets collatéraux sont glaçants. L’IA fait exploser notre consommation électrique et, par ce biais, les émissions de gaz à effet de serre. Elle est vorace en eau (pour refroidir les serveurs), à l’instar de l’activité minière, qui la pollue durablement. Or, la tendance globale est à un risque accru de sécheresses, y compris en Europe. Pour y faire face, il faut optimaliser son usage et l’économiser au maximum. Mais on en est loin. La question de la « sobriété énergétique » est mortellement absente. L’UE s’apprête à nous faire payer l’autonomie stratégique au prix fort. L’environnement est dans la ligne de mire de Donald Trump. Mais l’UE se « trumpise ». C’est l’ensemble des ambitions environnementales qui sont revues à la baisse. Désormais, la crise écologique est « la der des ders » des priorités.
Déni de la science
Donald Trump n’en détient pas le monopole. Il percole dans les institutions européennes. À titre d’exemple : la décision de la Commission de rouvrir la directive Habitat pour dégrader le statut de protection du loup d’espèce « strictement protégée » à « protégée », ce qui autorise sa chasse. Cette décision péremptoire n’a aucune justification scientifique. C’est ce qu’ont dénoncé de centaines de chercheurs mobilisés pour plaider sa cause. En vain. Les arguments politiques ont primé sur les faits scientifiques. L’ironie du sort, c’est que la loi européenne sur la restauration de la nature, adoptée au forceps dans le cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal (2022) partait d’un double constat. Les législations européennes en matière de protection de la biodiversité sont insuffisantes. En outre, elles peinent à être respectées. Ainsi, plus de 80 % des habitats européens pour la faune et la flore sont en mauvais état.
La directive Habitat 92 a été adoptée bien avant que l’IPBES, – le GIEC de la biodiversité -, ne tire la sonnette d’alarme dans un de ses rapports retentissants selon lequel un million d’espèces sont menacées d’extinction. Vieille de plus 30 ans, la Commission l’a remise pour la première fois sur le métier pour dégrader le niveau de protection d’une espèce, au lieu de combler ses lacunes. Décidément, il n’y a pas de Pacte de paix avec la nature.
Autre recul notable : l’agriculture. La science et les faits ne sont plus la base de sa politique. La « Stratégie de la Ferme à la Table » (2020) avait pour objectif phare de réduire l’empreinte environnementale et climatique de la PAC, en mettant la réforme de celle-ci au diapason des recommandations scientifiques. Désormais, elle est définitivement enterrée. La nouvelle « vision pour l’agriculture et l’alimentation » (février 2025) s’articule autour de la relance de la compétitivité du secteur. Ce qui ne manque pas de sel ; les derniers rapports européens sur le commerce agroalimentaire de l’UE démontrent que celle-ci demeure le premier exportateur mondial en la matière. De plus, l’élément phare de la stratégie précédente, – la révision du cadre européen sur les pesticides -, est officiellement abandonné.
Entre le modèle de l’agroécologie et de l’agriculture industrielle, la Commission a tranché. C’est bien ce dernier modèle qu’elle entend sauver.
Entre le modèle de l’agroécologie et de l’agriculture industrielle, la Commission a tranché. C’est bien ce dernier modèle qu’elle entend sauver. En poursuivant le détricotage des « acquis environnementaux » de la PAC, la Commission renie sa parole climatique. Car ce modèle agricole est basé sur la dépendance aux énergies fossiles et l’extractivisme minier. De fait, la potasse et le phosphore, tous deux utilisés pour la production d’engrais synthétiques, sont des minéraux non renouvelables, dont le dernier figure sur la liste des « matières premières critiques » de l’UE, en raison de sa rareté.
Entretemps, les scientifiques nous alertent que l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement planétaire sous 1,5°C est désormais hors de portée. Selon un rapport récent1, la production de denrées aussi basiques que le maïs, le blé, le café, le soja ou le cacao sont menacés par le climat et la perte de biodiversité. Bref, c’est la sécurité alimentaire qui est en jeu. Manifestement, la Commission n’en a cure. Pour que l’industrie puisse moissonner des espèces sonnantes et trébuchantes, la Commission échafaude notre désastre.
Pendant des décennies, l’UE a fait progresser le droit de l’environnement, sans réussir à enrayer le déclin de la biodiversité. Aujourd’hui, à l’instigation de la présidence von der Leyen, c’est à une véritable croisade « antinature » à laquelle elle se livre, poussée dans le dos par le Parti Populaire Européen (PPE), le plus grand groupe politique au Parlement européen, duquel elle fait partie.
En politique aussi, les modes se suivent. Le premier mandat von der Leyen (2019-2024) a été placé sous le sceau de la lutte contre le réchauffement climatique et le « Pacte vert » ; le second sur son démantèlement. Les grands perdants sont le climat et la biodiversité qui s’éclipse sur la pointe des pieds dans l’apathie générale, tant le monde hyperconnecté est paradoxalement déconnecté de la nature. Concluons sur un truisme, certes, mais qu’il est justifié de rappeler. La protection de la nature est une assurance-vie pour l’humanité. L’ignorer revient à scier la branche sur laquelle elle est assise.
(*)« Biodiversité. Quand les politiques européennes menacent le Vivant », Ed. Yves Michel (2017).
- Nos friandises vont-elles devenir un « luxe extrême » ? »La crise du chocolat se manifeste déjà par la hausse du prix pour le consommateur » https://www.lalibre.be/planete/environnement/2025/05/21/ ↩︎