Sur les thèmes de la neutralité de l’enseignement et de l’apprentissage des problématiques environnementales à l’école, les deux cartes blanches ci-dessous lancent un débat qu’il est urgent de mener. Selon l’auteur de la première carte blanche, les programmes de géographie ne sont pas en phase avec les problématiques urgentes actuelles, problématiques sur lesquelles les jeunes eux-mêmes réclament une formation. Selon le second auteur, certes les programmes sont en décalage avec le réel, mais les professeurs ne sont pas libres d‘y choisir la ou les matières à enseigner ou à prioriser.
Cette présentation des propos des deux auteurs, bien que succincte, soulève un problème fondamental.
L’exigence de soi-disant neutralité demandée aux enseignants constitue déjà une thématique complexe[1]. Mais la question de la (non) neutralité des programmes scolaires complexifie encore les choses.
On est en droit d’attendre des matières enseignées dans les écoles une recherche d’objectivité.
A la lecture du programme[2], on s’aperçoit pourtant que la géographie est réduite aux questions de spatialisation des thématiques étudiées (eau, alimentation, ressources, etc.) et que, dans les « pièges à éviter » mentionnés dans ce programme, les facteurs politiques et économiques embarrassants sont soigneusement évacués.
Par exemple, en 4ème année, on retrouve, parmi les « pièges à éviter : « faire une étude systémique des facteurs qui conditionnent la disponibilité en eau ». En 5ème année, les pièges à éviter mentionnent par exemple : « faire une étude systémique des facteurs qui conditionnent les changements du climat » ou « faire une étude des mécanismes économiques qui conditionnent la mondialisation ».
Pour un professeur de géographie, qui s’est vu enseigner une matière interdisciplinaire incluant l’apport des sciences physiques, mais aussi des sciences humaines et sociales, dont une des branches est la géopolitique, et dont une des matières nouvellement enseignées à l’université est celle du changement global, il est clair qu’un tel programme scolaire ne peut paraître que biaisé. L’évitement prudent de certaines matières au sein du programme nous semble effectivement loin d’être neutre. Or ce programme n’a pas l’excuse de son ancienneté puisqu’il date de 2018.
Selon le décret neutralité de 1998, l’enseignant doit, certes, « s’abstenir de propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux, sociaux, d’actualité ou qui divisent l’opinion ». Mais il est dit que l’enseignement requiert « la plus grande objectivité possible », « une honnêteté intellectuelle constante », et qu’il a pour mission de « préparer l’élève à devenir un citoyen responsable ». Il est également précisé que l’école « éduque au respect des libertés et droits fondamentaux ».
Les écoles libres ne sont pas liées par ce décret « neutralité », mais, pour être subventionnées, elles sont tout de même tenues à certaines exigences en matière de neutralité, et il va de soi que l’honnêteté intellectuelle fait partie des exigences qui sont attendues de leur enseignement.
Face à un programme qui n’aborde pas certaines questions qu’on est en droit d’attendre de lui à une époque où 7 limites planétaires (sur 9) sont dépassées (un constat qui relève d’une démarche scientifique et non d’un positionnement idéologique), un professeur qui aborde ces questions fera preuve de plus d’objectivité, d’une plus grande honnêteté intellectuelle et préparera bien davantage l’élève à devenir un citoyen responsable que ce que prévoit ce programme. Il contribuera en outre à l’éducation au respect des droits fondamentaux, parmi lesquels on compte le droit à instruction (correcte), le droit d’accès à la science, et le droit de vivre dans un environnement de qualité.
Les concepteurs des programmes scolaires n’étant pas à la hauteur de la mission qui leur est dévolue[3], il est peut-être temps de repenser démocratiquement les structures et les contenus éducatifs, en concertation avec les premiers concernés, ces jeunes qui, plus que jamais, en attendent autre chose.
Valérie Tilman
Membre du Grappe
[1] Lorsqu’on la creuse, elle dévoile davantage d’ambiguïtés et de paradoxes qu’une ligne de conduite claire pour les enseignants.
[2] http://admin.segec.be/documents/8730.pdf
[3] En réalité ils le sont dans la mesure où leur mission est de ne pas remettre en question les structures de pouvoir.