Coronavirus : Quelles leçons?
» Crise : phase grave dans l’évolution des choses, des événements, des idées … «
Mais aussi, au sens premier, » du grec krisis : décision « .
Ces définitions empruntées au dictionnaire devraient nous aider à réfléchir à ce qui nous arrive : « la crise sanitaire du covid 19 », à nous poser les bonnes questions et surtout à nous « décider » sur les bonnes réponses…
Nous traversons en effet une phase grave qui nous aura – et malheureusement à quel prix de vies humaines- remis à notre place : nous qui croyions pouvoir nous assurer la maîtrise de toutes choses, voilà qu’une toute petite « bestiole », invisible à l’œil nu, vient faire s’écrouler, comme un château de cartes, le « bel échafaudage » d’un système économique, technologique, financier présenté comme inéluctable par ceux qui en tirent les ficelles et … les profits… !
Alors, prenons conscience de la démesure et des déséquilibres où cela nous a amené et posons-nous les bonnes questions.
La démesure nous a entraînés bien trop loin sur le chemin de la concentration, de la centralisation, du gigantisme. Mais aussi, par voie de conséquence, dans la délocalisation, la mondialisation et l’abandon de tout pouvoir, de toute souveraineté dans nos choix de société.
Nous sommes passés de grands magasins à supermarchés puis à hypermarchés…, de satisfaction des besoins à consommation et surconsommation, d’agglomération à mégalopoles…, d’élevage à la ferme à élevages intensifs, industriels, concentrationnaires … de ferme à « exploitations » …, d’artisanat et fabriques à grosses unités de production…, de petits patrons à multinationales…, de relations humaines à dépendances…etc…etc…
Le vocabulaire utilisé est toujours parlant !!! (Ça devrait pourtant être une évidence !)
La crise du corona virus nous a rappelé ce que nous avions oublié :
- Que la souveraineté alimentaire c’est avant tout la capacité d’un peuple à se nourrir lui-même : « qu’il n’est jamais sain qu’un peuple dépende d’une nourriture importée pour sa survie ».
Ce qui est vrai pour les pays dits « tiers » » l’est aussi pour nous. - Qu’un pays sans paysans est un pays condamné à mourir …
- Qu’une agriculture qui respecte les sols, les cycles naturels, le bien-être animal, qui dispose de ses semences est un des enjeux les plus importants (sinon le plus) de l’avenir.
- Que des petits producteurs et des petits commerces existent encore à proximité et sont devenus – pour un temps seulement ? – des alternatives aux super et hypermarchés.
Les soutiendrons-nous encore demain ? - Que la structure « coopérative » existe et redonne son pouvoir à chaque individu contrairement aux multinationales qui ne cherchent qu’à enrichir quelques actionnaires …
- Qu’il est possible de convertir très rapidement (en quelques jours) des industries encore locales à la production de biens socialement utiles ! On nous a pourtant affirmé pendant des années que c’était chose impossible !!!
- Que nous ne manquons ni d’énergie, ni de créativité ou d’inventivité, que nous n’avons pas tout à fait oublié certains savoir-faire traditionnels (la couture, la solidarité entre autres …) qui nous servent bien en ces jours de crise…
- Que la dépendance et « l’incapacité supposée » de produire nous-mêmes nous rendent extrêmement vulnérables…
- Que la destruction de notre patrimoine naturel par le « bétonnage » (ce que l’on appelle pompeusement « l’artificialisation » des sols) détruit les habitats de nombreuses espèces sauvages qui peuplent la planète et favorise ainsi « les sauts d’espèces » c’est à dire le passage de virus qui leur sont propres à l’espèce humaine. Si nous continuons ces déforestations et bétonnages, nous devons nous attendre à de nouvelles pandémies…
- Que de nombreux métiers indispensables à notre confort sont méprisés et sous-payés.
Leur rendrons-nous demain leur dignité et ferons-nous en sorte que la « richesse nationale », fruit du travail de tous, soit équitablement redistribuée à tous ? - Que la fuite en avant dans des technologies qui nous servent de « prothèses -solutions » pour des problèmes que nous avons créés par ailleurs, est faite sans évaluation aucune de leurs conséquences sur la santé humaine, sur l’organisation sociale…
On pourrait encore continuer la liste…
En 1957, Léopold Kohr (économiste, juriste et philosophe, prix Nobel alternatif en 1983, auteur de « L’effondrement des puissances » où il étudiait la question de la taille) écrivait cette phrase compréhensible par tous : « Partout où quelque chose ne va pas, quelque chose est trop gros ». Quelques années plus tard, en 1973, son disciple, E.F.Schumacher (économiste britannique d’origine allemande) publiait « Small is beautiful » où il montrait lui aussi l’importance de considérer la taille et la mesure des choses.
Et il est vrai que toutes les questions évoquées plus haut renvoient toutes à cette notion fondamentale, celle de la taille et de la mesure (au sens modération !)
Alors, allons-nous profiter de cette « rupture » pour repenser notre société ? Pour exiger un retour à notre échelle, celle de la taille humaine, qui se construit, non sur la valeur marchande des êtres et des choses, mais sur des valeurs de justice, d’équité, de solidarité, de respect des hommes et de la planète… Valeurs dont le confinement nous a fait reprendre conscience….
Aujourd’hui, c’est à nous de refuser la « fatalité » qu’on nous impose et de reprendre notre pouvoir de changer notre société.
Faute de quoi nous courons au-devant de nouvelles pandémies et de nouvelles catastrophes humaines.
Martine Dardenne,
Sénatrice honoraire,
Membre du Conseil d’administration de l’asbl Grappe.